Épisode 1 - « Il faut construire de nouveaux récits aussi impactants que le mythe du pavillon et de la voiture »

Directeur général du Pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire, Frédéric Vasse mène des expérimentations sur son territoire pour renouveler le regard sur l’aménagement et l’habitat en associant élus, chercheurs et citoyens. Il nous présente sa méthode et les premiers enseignements qu’il en retire.

Mise à jour : 30 juin 2025

Pouvez-vous nous expliquer d’abord ce qu’est le Pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire ?

Le Pôle métropolitain Nantes Saint-Nazaire est un outil de coopération entre cinq intercommunalités qui ont décidé de s’associer pour penser à la bonne échelle les grandes questions de l’aménagement du territoire. Notre mission repose sur un triptyque : Coopérer, comment nous amenons les élus à penser ensemble l’avenir du territoire, face aux vertiges des métamorphoses climatiques et sociales à l’œuvre. Aménager, nous pilotons l’élaboration du futur SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) qui est la traduction opérationnelle de cette vision. Et le dernier, expérimenter. Sur les sujets complexes, ce que j’appelle les points durs ou les douleurs du territoire, nous explorons de nouvelles approches de l’aménagement et des politiques publiques avec l’appui de chercheurs, en menant des recherches-action ou des enquêtes auprès des citoyens.

Parmi les points douloureux, vous pointez justement la question de la densité de l’habitat. Que voulez-vous dire par là ?

Parmi les nombreux travaux que nous conduisons dans le cadre de notre démarche « Territoire 2050 », le sujet de la densité est remonté comme une question sensible. Il est de plus en plus rare aujourd’hui qu’un projet de construction ne soit pas contesté. Le débat sur l’habitat est souvent coincé entre deux caricatures :  le pavillon ou la tour de logement social. Pour tenter de sortir de ces stéréotypes, nous avons mené une enquête de terrain auprès de 200 habitants en requestionnant leurs aspirations profondes. Nous avions besoin de comprendre à la fois leurs attachements, ce sur quoi ils ne sont pas prêts à bouger, et les marges d’abandon. Finalement, on s’aperçoit qu’entre le pavillon ou la tour le champ des possibles est beaucoup plus vaste qu’on ne le croit. 

Quels sont ces stéréotypes ? Et quelles formes nouvelles l’habitat pourrait prendre demain ?

Sur les archétypes, il y a par exemple celui du grand jardin. Lorsque l’on questionne les besoins réels des habitants, on se rend compte que cette attente est questionnable. Ce que les gens recherchent, c’est un terrain pour jouer avec leurs enfants, sortir leur chien ou se retrouver avec des amis. C'est le cas aussi sur la propriété. Les nouvelles générations ont un rapport à la propriété qui n’a rien à voir avec les générations qui les ont précédées. On peut faire un parallèle lorsqu’on voit les jeunes aujourd’hui beaucoup plus ouverts à « butiner » d’emplois en emplois. Et enfin, il y a la question de la privatisation des espaces, ce que l’on veut posséder pour soi. On a testé différents scénarios, du simple partage d’un jardin jusqu’à des hypothèses plus poussées : je partage la chambre d’ami, le lave-linge, le potager, la voiture... Lorsqu’on propose des alternatives concrètes, on s’aperçoit que les personnes sont beaucoup plus ouvertes que ce que l’on imaginerait de prime abord. Ce qui compte finalement, c’est moins le logement où j’habite que la vie qui va avec et la qualité des interactions sociales avec mon entourage.

Comment fait-on pour changer de modèle ? Pour aller vers d'autres formes d’habitats ?

Il nous faut retrouver de la fluidité dans les trajectoires résidentielles. Sur l’habitat interurbain par exemple, qui est un enjeu majeur sur notre territoire, nous avons un très grand nombre de logements sous-utilisés avec des occupants qui vieillissent. Qu’est-ce qui ferait que ces personnes pourraient quitter leur logement ? Lorsqu’on interroge cette population, ce qui lui manque, nous dit-elle, c’est un tiers de confiance. Un référent qui puisse les conseiller et les accompagner dans ce changement de vie difficile. On touche ici à des questions très intimes. Se séparer de son logement peut s’apparenter à un deuil pour certaines personnes. Faute d’aborder ces questions de fond, les parcours résidentiels restent grippés la plupart du temps. Plus généralement, il faut aussi que nous changions notre regard sur l’habitat. Il faut construire d’autres récits désirables aussi percutants que fut celui de l’héritage fordiste du pavillon et de la voiture pour les classes moyennes ! Celui que je trouve créateur, c'est celui de l’urbanité articulé à une approche de la santé globale. L’urbanité dans sa double acception, tant la qualité des formes urbaines que notre capacité à bien vivre ensemble avec le souci de la bonne santé des humains mais aussi du vivant au sens large, de l'environnement... Comment continuer d’habiter un territoire tout en préservant son habitabilité ? C’est une idée fédératrice et qui mobilise au-delà des clivages politiques.

Quel regard portez-vous sur la situation de l’habitat au Pays Basque ?

Comme de nombreuses régions littorales, le Pays Basque est très attractif et doit faire face à une pression foncière importante. Aujourd’hui, cette pression a des effets directs, par exemple sur l’emploi des saisonniers ou des travailleurs de la première ligne. Comment fait-on pour faire fonctionner l’économie locale si ces personnes ne peuvent plus s’installer ? Cela pose en creux la question du logement social mais aussi de l’équité territoriale. Qui a le droit d’accéder au littoral ? Ce sont des interrogations légitimes. Plus généralement, je vois aussi des enjeux d’adaptation sur un territoire qui est particulièrement exposé aux aléas climatiques. Par exemple, sur la gestion des inondations, on comprend aujourd’hui qu’il faut aller à rebours de ce que nous avons fait ces dernières décennies. Passer d’une vision très fonctionnaliste de l’urbanisme, la culture des tuyaux, qui n’a fait qu’accélérer le cycle de l’eau, à un retour aux fondamentaux de la nature, en permettant à l’eau de s’infiltrer là où elle tombe, en retrouvant les lits des rivières d’origine. Là aussi, je trouve que c’est un récit refondateur que de se réapproprier la géographie d’un territoire, se reconnecter à la mémoire de l’eau et des sols, et qui peut embarquer la population.

Retrouvez tous les travaux du Pôle métropolitain Nantes-Saint-Nazaire sur leur site internet.

Deux conseils lecture pour penser l’habitat différemment

Mona Chollet est une journaliste et essayiste suisse née en 1973, reconnue pour son engagement féministe et ses analyses fines des enjeux de société. Dans « Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique » (La Découverte, 2015), elle explore la sagesse des casaniers et la richesse de l’espace domestique, souvent méprisé au profit de l’aventure extérieure. Chollet y défend l’idée que le « chez soi » est un lieu de ressourcement, d’émancipation et de résistance au contrôle social, tout en abordant les inégalités de logement et les aspirations intimes qui s’y projettent.

Dans « Après le virage, c’est chez moi » (La Découverte, 2025), Marie Kock, journaliste et autrice, étudie la question du « chez-soi » à travers les souvenirs d’une enfance en Auvergne, les déménagements successifs et la quête d’un espace où se sentir pleinement soi, révélant ainsi la complexité de l’habiter : « le lieu où l’on habite n’est pas toujours celui où l’on se sent chez soi ». L’œuvre se distingue par sa capacité à mêler réflexion philosophique, analyse sociale et expérience intime. Marie Kock s’appuie sur des références littéraires (Deborah Lévy, Bachelard, Perec), mais aussi sur une écriture légère et digressive qui rend palpable la quête d’une féminité autonome, affranchie des normes traditionnelles du foyer et de la famille.

Ces deux ouvrages offrent des regards complémentaires et engagés sur l’habitat, en faisant du « chez soi » un espace de réflexion sur l’individualité, l’émancipation et la société. Ils s’adressent à tous ceux qui s’interrogent sur ce que signifie vraiment « habiter » et sur la façon dont nos espaces de vie révèlent nos aspirations profondes.