Douze initiatives basques qui transforment l’économie locale
7 novembre 2025
Pour la chercheuse et docteure en littératures et arts écologiques Solène Reymond, l’engagement écologique naît d’abord d’une fissure. Un choc, un émoi, un bouleversement intérieur qui transforme notre perception du monde et nous pousse à l’action. En parcourant la campagne basque, elle collecte ces histoires intimes pour en faire des récits sensibles et universels. Elle nous partage son travail.
Mise à jour : 6 octobre 2025
Dans vos travaux, vous vous interrogez d’abord sur la notion d’écologie. Vous réfutez l’idée de transition écologique. Pourquoi ?
L’idée de transition suppose que l’on passe d’un état à un autre mais toujours dans un but de progrès. Je rejoins Jean-Baptiste Fressoz quand il dit que cette transition est un mythe. Les solutions technologiques comme les voitures hybrides ou le verdissement des villes restent des mesures correctives mais qui continuent d’alimenter le même système. Ce qu’il faut, c’est une bifurcation, un changement de modèle qui ne doit pas être que technologique mais aussi environnemental, social et mental, comme le souligne Félix Guattari.

Pour vous, la bascule écologique vient d’abord d’un désir profond, intime. Vous parlez de « fissure ». Pouvez-vous nous expliquer votre concept ?
Mes travaux de recherche ont commencé par une expérience personnelle. Dans le jardin de mes parents, à Itxassou, un arbre tricentenaire — l’un des plus vieux du village — s’est effondré du jour au lendemain. Cet événement m’a profondément marqué. C’est comme si quelque chose s’était ouvert en moi ce jour-là. C’est cela que j’appelle une fissure : un choc, une émotion qui n’est pas que traumatique ou brutale, mais qui vous transforme de l’intérieur, qui vous fait basculer vers autre chose. En l’occurrence pour moi, vers le monde végétal. J’avais besoin de comprendre pourquoi cet arbre était mort.
Qu'avez-vous découvert ?
J’ai rencontré un arboriste-élagueur qui m’a partagé sa science des arbres. Grâce à lui, j’ai appris que notre chêne familial avait subi de nombreux traumatismes, des sécheresses, des tempêtes, la pollution lumineuse, sans doute aussi un incendie mais surtout des coupes drastiques qui l’ont fragilisé. J’ai réalisé que la violence faite aux arbres n’était pas seulement l’affaire des forêts rasées en Amazonie mais qu’elle existait aussi sous nos yeux, dans nos jardins. La faille qui s’est ouverte en moi avec l’effondrement de l’arbre est devenue une brèche, une ouverture vers une autre réalité, une autre conscience. Je ne considérais plus les arbres de la même manière, je ne faisais plus la distinction entre humains et non humains, je m’étais décentrée. Il est là le lien entre cette expérience et la pensée écologique, quand on commence à se demander « Que s’est-il passé ? Pourquoi cette histoire me touche ? ».

Justement, comment passe-t-on de la prise de conscience à l’action ?
Je crois beaucoup en la force des imaginaires alternatifs pour entrainer le mouvement. C’est Ursula Le Guin, écrivaine de science-fiction, qui la première a parlé du besoin de raconter des « histoires vivantes » : des récits qui mettent en avant la coopération, le partage, le respect de la terre plutôt que la guerre ou la mort. Elle a inventé de nombreux univers utopiques, alternatifs, écologiques, qui s’écartaient de l’imaginaire dominant et destructeur de l’Homme contre l’Homme ou de l’Homme contre la nature. Je m’inscris dans la lignée de ce concept en proposant celui d’« histoires vivaces », en référence aux plantes vivaces : ces plantes qui poussent partout et repoussent sans cesse. Le récit du maître-élagueur, qui sait protéger les arbres et pratique une véritable éthique du soin, fait partie de ces histoires vivaces. Elles peuvent essaimer ailleurs, mais elles s’inscrivent aussi dans une filiation plus ancienne. Je pense ici à Aldo Leopold, forestier et écologue américain, qui décrivait déjà en 1949 dans “Almanach d’un comté des sables”, une histoire semblable, celle d’un arbre foudroyé. L’éthique de la terre qu’il développe dans son livre se retrouve dans le récit de l’arboriste. En reliant ces deux histoires, on donne davantage d’épaisseur à des imaginaires alternatifs. C’est une sorte de travail souterrain qui nous fait réfléchir autrement et nous emmène progressivement à agir autrement.

Le Pays Basque est un lieu qui vous inspire ?
Oui, je mène de nombreuses recherches ici. Je me suis notamment intéressé à la terre : la terre comme matière, la terre nourricière. C’est un sujet qui n’a pas toujours bonne image. Dans la littérature et l’imaginaire collectif, elle est souvent décrite comme sale, repoussante. Pourtant, la terre, tout comme les océans ou les forêts, est indispensable à la vie. On estime qu’en 2050, 90 % des sols dans le monde seront dégradés. C’est un énorme problème ! Mais comment faire pour changer cette perception ? En ce moment, je suis en immersion au sein de l’association Les Carrioles vertes. Créée par Patricia Bonneau — et c’est important pour moi de mettre en lumière des initiatives féminines — elle s’engage dans la refertilisation des sols en transformant nos biodéchets en compost. Derrière cette mission se déploie tout un imaginaire de la régénération, incarné par le geste des maîtres composteurs. Voilà encore une histoire vivace à raconter ! Quand on change de regard sur la terre et que l’on prend conscience de son importance, on a littéralement envie de remettre du sol sous nos pieds et dans nos têtes.