La pastorale Inesa de Gaxen prend corps

C’est une première au cœur du pays charnégou. Une pastorale bilingue en basque et en occitan-gascon sera donnée en juin et en septembre. Elle narre la vie d’Inesa de Gaxen de La Bastide-Clairence, persécutée à tort pour sorcellerie. Comme une résonance aux discriminations dont sont toujours victimes les femmes.

Publié le 22-04-2024

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Inesa de Gaxen. Ce nom va résonner longtemps en pays charnégou. Ce nom, c’est celui de cette jeune femme née à La Bastide-Clairence, persécutée à tort pour sorcellerie, mise à l’honneur dans le cadre de la pastorale jouée à La Bastide-Clairence en juin et à Bardos en septembre.

Le destin de cette bastidote a de longue date « intrigué » Pantxika Urruty, instigatrice de cet évènement inédit et bilingue, en basque et en gascon-occitan.

« Sa vie est digne d’un roman », confie-t-elle. Née en 1566, Inesa est persécutée pour sorcellerie à l’âge de 14 ans, arrêtée à Hendaye par le seigneur d’Urtubie. Emprisonnée sans preuves, elle est innocentée puis relâchée à l’âge de 18 ans. Elle se réfugie à Irun, où elle épouse un soldat de Fontarrabie. « En 1611, elle est de nouveau accusée mais ne cèdera jamais. Innocentée, elle sera forcée à l’exil, envoyée sur une embarcation sur la Bidasoa. Personne ne sait ce qu’il advint d’elle. Ainsi, cette femme, doublement accusée, au cœur de cette période trouble dite de chasse aux sorcières, a réussi à échapper aux flammes en disant sa vérité, la vérité. Elle n’a jamais avoué ce que d’autres ont fait en raison des tortures subies », confie l’errejent, en marge d’une répétition. « Voilà près de sept ans que je souhaitais lui rendre hommage. »  

Toile de fond historique

Forcément, ce portrait de femme injustement brimée a trouvé résonance chez l’auteure Itxaro Borda, sollicitée pour l’écriture d’un texte en basque « tant poétique, qu’historique ». « Ces procés de sorcellerie s’ancrent dans l’une des périodes les plus troubles en Europe, où les gens se dénonçaient entre eux, rappelle l’auteure basque. Claude Labat l’a très bien évoqué, la sorcellerie a servi de rideau de fumée pour dissimuler des tractations politiques. En toile de fond, on assiste au combat entre la culture de l’élite et la culture populaire, celle des sages-femmes, des « belagile », qu’il s’agissait au nom des Lumières commençantes, d’effacer. » L’agitation de peurs pour affoler le peuple et asseoir l’influence de seigneurs.

C’est aussi la mise en place des frontières. Le Royaume de France s’entend avec celui d’Espagne pour arrêter la guerre et délimiter la-dite frontière.

« L’histoire de cette femme est vraiment représentative de cette époque. Elle est passée deux fois en 15 ans sous le fer de l’Inquisition. Elle a bénéficié du doute, ce qui relève de l’incroyable à cette époque, Et sa fin est ouverte, puisqu’elle disparaît dans une embarcation sur la Bidassoa », poursuit Itxaro Borda. « Cette histoire très littéraire avait déjà servi au roman d’Asier Etxeberria, mais jamais de toile de fond à une pastorale. » Pour l’écrire, il a fallu se documenter et voir comment romancer cette vie au travers de versets. « Le premier jet a été réalisé dans un train, s’amuse Itxaro, mais il a fallu retravailler encore et encore afin d’écrire suffisamment de versets pour la centaine de participants. » 

Une pastorale bilingue

Le texte a été pensé et écrit en basque, puis traduit en français et sont venues s’intercaler les parties en gascon. Pour relever ce défi, il a été fait appel à Yvan Bareyre, figure renommée de ce Pays de Bidache, amoureux de sa langue occitane. L’alchimie entre ces références linguistiques a fonctionné. En témoigne leur joyeuse et érudite complicité à l’heure de narrer l’aventure, devant le fronton de Bardos où a lieu cette énième répétition.

« Le dernier chant étant écrit par quelqu’un du cru, la présence d’Yvan a pris tout son sens », indique l’errejent, pour qui « l’usage des deux langues était une évidence, ici, en terre charnègue. »

Pour les deux femmes, il était important de laisser libre cours à la créativité d’Yvan Bareyre, à donner la main à cette région charnègue jusqu’au dernier moment. « Avec ce dernier chant en gascon, ce sont eux qui diront adieu » glisse Itxaro. Et en « gascon d’ici », rebondit Yvan pour qui « c’est un honneur d’avoir été choisi, sachant que mon garant linguistique n’est autre que Sergi Javaloyes, la référence ». « Je suis fier de pouvoir placer dans cette première mondiale le parler gascon de ce territoire, du Bas-Adour, plutôt maritime dans lequel on a intégré cette notion de charnegou. Cela nous permet d’introduire des notions d’histoire, quelques légèretés ou quiproquos. Cela m’a surtout permis de « réinterpeller » la langue, de remettre des mots disparus, de replacer les expressions des anciens, dans leur qualité toute poétique. »

À partir de ce texte bilingue, déclamé au travers de 21 scènes, les 105 participants venus de La Bastide, Urt, Bardos, Bidache, Came, Guiche, Sames, Arancou et Bergouey-Viellenave, redonneront vie à cette femme, symbole de toute une génération persécutée. Pour le final, Inesa quittera la scène avec 40 autres femmes : « On suppose ainsi qu’elle se réincarne en chacune d’entre nous », souffle dans un sourire Itxaro. « Des Inesa, nous en croisons tous les jours, mais les voit-on seulement ? Percevons-nous leur détresse ? » conclut Yvan Bareyre. Le spectacle sera joué lors des quatre représentations données les 15 et 16 juin à La Bastide-Clairence, les 21 et 22 septembre à Bardos.

Portraits

Manon Irigoyen : maître de chant

« Tous les jeudis soir, en plus des répétitions, je vais réunir les 105 personnes par demi-groupe, car nous avons deux chants mixtes tous ensemble et il nous faut être prêts. » Pour relever le défi de former ces villageois au chant, la trentenaire Manon Irigoyen endosse le rôle de maître de chant. Comment cette intermittente cheffe de chœur et chanteuse, qui a aujourd’hui recentré sa vie autour de la musique a accepté ce challenge ? « Parce que Pantxika Urruty » dit-elle tout de go. « Pour sa compétence, sa bienveillance, son humanité, ce qu’elle véhicule à travers ses pastorales. » La jeune femme, connue comme chef de chœur des Buhaminak, ou comme membre du trio « les Copines », se réjouit d’avoir « pu ici harmoniser à trois voix ». Elle apprécie également de travailler avec des amateurs et de voir s’éveiller en eux des vocations, une joie d’apprendre, et la fierté de participer à cet évènement. »  

Allande Izal : maître de danse

Il est de toutes les aventures de Pantxika Urruty. De la première pastorale donnée à Bayonne en 2016, puis à Saint-Pierre d’Irube, Zugarramurdi, et aujourd’hui à La Bastide. « Si cette pastorale ressemble aux précédentes, elle sera réussie, confie Allande Izal, le maître de danse, devant le fronton de Bardos baigné de soleil. C’est là, en cette fin mars que se déroule la répétition d’avant générale. Au-delà de l’aventure artistique, c’est une formidable aventure humaine. » « La force de la Soule, dit Allande, lui-même souletin, c’est d’avoir ancré des projets pastoraliers dans les villages, de fédérer des personnes, souvent néophytes, autour d’un projet venu rythmer leur vie un an durant. » Pour cette pastorale proposée en terre charnègue, le danseur réussit l’exploit de transmettre à des néophytes les codes des pas souletins, revisités par ses soins. « Ce qui m’importe, c’est que les participants se sentent encouragés, heureux de partager ces instants et d’apprendre de cette culture dansée. »

Le saviez-vous ?

Une aventure artistique

L’association Xarnegu pastorala sharnega veille à l’organisation de cet évènement inédit. Présidée par Virginie Diribarne, elle a notamment pour mission de réunir les 105 acteurs (chanteurs, danseurs, musiciens, couturiers) venus des villages participants (La Bastide-Clairence, Urt, Bardos, Bidache, Came, Guiche, Sames, Arancou et Bergouey-Viellenave). À l’approche de la première de juin, le rythme des répétitions s’intensifie, prenant tour-à-tour comme décors des salles communales de La Bastide-Clairence, Bardos, Urt et Came. Dans cette aventure artistique portée par Pantxika Urruty, se retrouvent les auteurs, Allande Izal et Manon Irigoyen, mais aussi Patrick Calvet, responsable des musiciens et Cathy Etcheveste, responsable couture. La Communauté Pays Basque a apporté son soutien à cet évènement culturel.

Une pastorale, c’est quoi ?

Cet évènement théâtral codifié, force culturelle et identitaire de la Soule, narre la plupart du temps l’histoire d’un personnage célèbre. L’errejent assure la mise en scène selon des codes spécifiques. Les acteurs répartis en deux groupes évoluent selon des déplacements chorégraphiés, équipés de leur makila venu donner le rythme :

  • les bleus, anciennement « les chrétiens », sont les protagonistes, les « gentils », 
  • les rouges, anciennement « les Turcs », sont les adversaires (référence aux croisades et guerres de religions).  

La pastorale comprend l’écriture d’un texte en scènes, les « jeikaldi » ; la mise en scène par l’errejent ; le chant, la danse (avec les satans (danses souletines) ou les danses dites « sociales »), la musique assurée par un responsable travaillant avec l’errejent pour l’adaptation, et enfin, les costumes.   

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