Épisode 4 - Les bienfaits du bilinguisme dès le plus jeune âge
La psycholinguiste Ranka Bijeljac-Babic travaille à faire connaître les bénéfices du bilinguisme et valoriser la richesse d’une double culture dès le plus jeune âge. Elle est membre de l’INCC (Centre de neurosciences intégratives et cognitives), du CNRS et de l’Université Paris Cité, présidente de l’association Bilingues et plus et autrice de plusieurs ouvrages de références.
Mise à jour : 9 mai 2025

En France, 20 à 40 % des personnes pratiquent une autre langue que le français. Pour les enfants bilingues, comment cela se passe ?
Les enfants bilingues arrivent dans un environnement linguistique, langagier, sonore, plus complexe que celui dans lequel évoluent les enfants monolingues. Cela ne signifie pour autant pas que les enfants n’arrivent pas, dans un même calendrier, à bien maîtriser les deux langues.
Si les parents continuent à leur transmettre leur langue maternelle, à les solliciter en les exposant aux deux langues, les enfants bilingues commencent en peu de temps à s’exprimer dans les deux langues. Du fait de passer d’une langue à l’autre, ces enfants développent un peu plus précocement des aptitudes attentionnelles. Ils repèrent plus facilement les changements, maîtrisent des procédés cérébraux et mentaux leur permettant de ne pas mélanger les langues. Ils sont plus attentifs car c’est presque une question de survie : savoir qui s’adresse à eux, en quelle langue, et comment répondre à toutes ces stimulations.
Dans votre livre « L’enfant bilingue, de la petite enfance à l’école », vous posez la question : et si le bilinguisme précoce, était un atout majeur pour le développement des capacités cognitives ?
Les enfants bilingues développent plus facilement des avantages dits métalinguistiques : très tôt, les enfants ont une conscience linguistique. Ils réfléchissent à leurs langues. Ils font des comparaisons entre elles de façon spontanée, inconsciente. Ils sont aussi plus accessibles à l’apprentissage d’une troisième langue. Je le répète, quand le bilinguisme est bien vécu par l’enfant et stimulé par l’environnement, les résultats scolaires des enfants sont meilleurs, les aptitudes développées. Dans le cas contraire, cela ne donne pas la même chose.
Pour que cela se passe bien, il faut que les parents continuent le plus longtemps possible à transmettre leur langue maternelle, familiale. Cela vaut pour les langues de personnes immigrées, comme pour les langues régionales. Vous le savez encore mieux que moi, au Pays Basque, si les parents arrêtaient de transmettre et les écoles de poursuivre cet apprentissage, la langue se perdrait définitivement.
Ces bénéfices du bilinguisme, voire du multilinguisme, se retrouvent-ils à tous les âges de la vie ?
Les bilingues peuvent développer plus précocement les fonctions exécutives, celles impliquées dans l’attention, la sélection et l’inhibition de multiples informations provenant de l’environnement. Les enfants bilingues par exemple peuvent transposer ces bénéfices cognitifs dans d’autres matières. Dans les écoles bilingues, je prends l’exemple de la Bretagne pour le connaître, mais cela doit être la même chose au Pays Basque, les résultats dans les établissements bilingues sont parfois meilleurs. Dans tous les cas, le contexte socio-économique est primordial pour expliquer le succès scolaire.
À l’âge un peu plus avancé, chez les personnes âgées bilingues, l’apparition des maladies neuro-dégénératives est retardée. C’est toujours cette même question de « gymnastique » entre deux langues. De fait, le cerveau est toujours réactif. Ainsi, parler deux ou plusieurs langues, pourrait avoir des bienfaits sur la santé, et plus particulièrement sur la mémoire. Le bilinguisme peut retarder certaines formes de démences, des études scientifiques l’ont acté.
Les bénéfices sont donc multiples, qu’ils soient langagier, culturel, cognitif, psychologique ?
Pour un bilingue, que ce soit pour les locuteurs de langues internationalement reconnues ou de langues dites minoritaires, posséder deux langues est très important. C’est un enrichissement personnel que ce soit au niveau culturel, identitaire, cognitif… En outre, cela marque une certaine ouverture, tolérance aux autres, et l’apprentissage d’une troisième langue sera bien plus aisée. Car les bilingues ont un rapport beaucoup plus décomplexé à l’imperfection dans l’apprentissage d’une langue. Ils acceptent plus facilement de commettre des erreurs, de prendre le temps…
Comment aujourd’hui mieux intégrer dans l’enseignement pédagogique les aptitudes et connaissances des enfants possédant déjà plusieurs langues ?
C’est ce que nous avons abordé dans notre étude destinée au Conseil scientifique de l’Éducation nationale. Nous proposions des pistes afin de voir comment s’appuyer sur les autres langues maternelles afin de les amener vers l’apprentissage du français. Et la manière d’accompagner des enseignants dans le maintien de la diversité des langues dont le bénéfice éducatif sera considérable, pour ces enfants bilingues et leurs camarades. Les classes multilingues sont un levier pour l’apprentissage, le « vivre-ensemble ». En France, l’Education Nationale tient d’ailleurs davantage compte aujourd’hui de la diversité linguistique de ses élèves, et valorise des initiatives telles que la Semaine des langues. Cette démarche d’inclusion devrait d’ailleurs être la priorité de toute politique éducative et culturelle d’une société démocratique dans laquelle l’école joue un rôle primordial pour une intégration heureuse.
À quoi sert cette Semaine des Langues ? Est-ce le même principe que notre dispositif en Pays Basque d’Euskaraldia, qui permet de socialiser davantage l’euskara ?
La Semaine des Langues mise en place par notre association Bilingues et plus vise à valoriser les diverses langues parlées en France, dans nos écoles en faisant aussi participer les parents. C’est une manière de montrer aux enfants quelle autre langue existe dans sa classe. Dans certaines écoles, pas moins d’une trentaine de langues sont parlées dans les foyers des écoliers. On ne peut négliger cette richesse linguistique. Et l’on ne peut demander à ces familles d’oublier leur langue. Au Pays Basque aussi on lutte pour que la langue perdure, soit vivace. Si cela intéresse les enseignants, notre association a édité sur son site un livret afin de valoriser au mieux les diverses autres langues maternelles, évoluant aux côtés du français.

Biographie de Ranka Bijeljac-Babic
Ranka Bijeljac-Babic, bilingue français et serbo-croate, est psycholinguiste, membre de l’INCC (Centre de neurosciences intégratives et cognitives), du CNRS et de l’Université Paris Cité, présidente de l’association Bilingues et plus, autrice d’ouvrages de références dont « l’enfant bilingue, de la petite enfance à l’école », paru aux Editions Jacob. Elle a co-écrit avec Nathalie Auger une étude pour le Conseil scientifique de l’Education Nationale : « Avoir deux langues et plus à l’école maternelle et élémentaire ».
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