Épisode 5 - Le basque au cœur de la recherche en linguistique

En décembre, une chaire de linguistique expérimentale en euskara a été lancée au sein du centre de recherches IKER à Bayonne. La chercheuse Arrate Isasi-Isasmendi y analysera la manière dont les enfants acquièrent une ou plusieurs langues en fonction de leur environnement, avec des procédés innovants tels que l’électroencéphalographie. Rencontre.

Mise à jour : 9 mai 2025

En quoi cette chaire de linguistique expérimentale est-elle novatrice ? 

C’est la première fois que nous étudierons l’acquisition du langage en prenant en compte la langue basque et la langue française spécifiquement, ainsi que des langues de la région. Dans le monde, d’autres groupes de recherche prennent en compte le plurilinguisme et analysent plus d’une langue, mais ici, nous étudierons les différences au niveau grammatical et phonétique. Et la manière dont l’enfant acquiert ces connaissances linguistiques au sein de cet environnement. C’est cette approche qui est novatrice. 

Autre originalité, dans le cadre de vos recherches, vous mettez à profit votre expertise en matière de méthodes expérimentales telles que l’électroencéphalographie, le suivi oculaire. Pouvez-vous nous l’expliquer ? 

Ces techniques sont communes en psycholinguistique (discipline combinant la psychologie et la linguistique pour étudier l'emploi du langage, Ndlr) et en neurolinguistique. Elles sont utilisées par divers laboratoires, dont le nôtre dans le cadre de cette étude. 

Avec l’électroencéphalographie, nous pouvons voir comment la langue opère dans le cerveau, au niveau neuronal. Cela donne une information plus précise, surtout s’agissant d’enfants en bas âge qui ne parlent pas encore, mais comprennent déjà. Cette technique permet donc de voir le développement de la langue dans le cerveau. 

La technique oculaire dite oculométrie « eye tracking » en anglais sera également usitée. En enregistrant les mouvements visuels de la pupille, on peut distinguer le niveau d’attention des enfants. 

Quels seront les axes de recherches poursuivis ? 

En plus d’étudier la manière dont les enfants apprennent le basque et le français, nous explorerons également la manière dont les adultes bilingues traitent le basque. Cela nous permettra d’avoir une comparaison mais également d’étudier comment les adultes procèdent avec d’autres ayant un niveau d’apprentissage différent.      

Jusque-là, les recherches expérimentales portaient davantage sur des locuteurs monolingues de langues largement répandues (anglais, langues indo-européennes). Cette étude est une manière de remettre en perspective l’euskara ? 

En effet, la majeure partie des études déjà menées l’ont été avec l’anglais, le français, l’espagnol, l’allemand… Il y a eu quelques études menées par le passé, par exemple celle engagée par le Basque Center on Cognition, Brain and Language, le centre de recherche international
et pluridisciplinaire sur le cerveau, la cognition et le langage situé à Saint-Sébastien, mais c’était davantage sur des aspects psychologiques, pas linguistiques. Ou enfin par des groupes de recherche de l’Université du Pays Basque (UPV/EHU) de la faculté de Vitoria, qui ont réalisé des études surtout concentrées sur la langue basque par rapport à l'espagnol.

Le travail qui sera mené ici sera plus spécifique et davantage centré sur la langue basque, en relation et en comparaison avec les langues de la région.

Combien de temps durera cette étude et quelle en sera la finalité ? 

Dans chacun des deux domaines d’études, nous mènerons des travaux de recherches de six mois à un an chacun. Plusieurs expériences seront donc menées dans les ikastola, les écoles bilingues… Pour livrer des premiers résultats, nous attendrons d’avoir mené huit expériences, soit à l’issue de cette première phase d’études, dans cinq ans. 

À terme, notre étude servira aux chercheurs, pour abonder ce qui se fait au niveau international en matière de linguistique et de plurilinguisme, mais aussi enrichir les connaissances autour de l’acquisition de la langue. Plus localement, cela servira aux enseignants, aux parents, aux responsables qui œuvrent en matière de politiques linguistiques, tels que la Communauté d’agglomération Pays Basque…

Quels seront les autres apports attendus ? 

À travers nos recherches, nous étudierons également le développement linguistique dans l’environnement multilingue de Bayonne, ainsi que de la région Nouvelle-Aquitaine. Ici, une diversité linguistique s’exprime avec le gascon, l’espagnol, et l’ensemble des autres langues qui font la richesse, la diversité linguistique et culturelle de ce territoire. L’attention sera également portée sur ces langues… 

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IKER, un centre de recherches de référence

IKER, c’est « le » centre de recherche sur la langue et les textes basques. Lové au cœur du Château-Neuf à Bayonne, il est l’une des pièces maîtresses du fameux campus de la Nive. Unité mixte de Recherche (UMR), IKER compte pour organismes de tutelle le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), l’Université Bordeaux Montaigne et l’Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA). C’est dire. Le laboratoire constitue la seule structure spécialisée dans le domaine des études basques en France. Il regroupe des spécialistes de la langue basque, de l’occitan et du breton, chercheurs et chercheuses du CNRS et enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses de l’Université Bordeaux Montaigne et et de l’UPPA en poste. L’unité, succédant à une URA (Bordeaux 3), fut établie dans son statut actuel en 1999, à l’initiative du CNRS, afin de regrouper et de donner une visibilité aux études basques en France. Aujourd’hui, il représente un partenaire incontournable pour les structures intéressées et impliquées dans ce domaine en Europe, notamment en Espagne, ainsi qu’aux États-Unis et au Canada.